Billet d’humeur

Jazz et cinéma : à propos d’une passion

The past is never dead, it is not even past (William Faulkner) (Le passé ne meurt jamais, il n’est même pas passé)

 

L’amateur de jazz et le cinéphile ont bien des choses en commun, en particulier une certaine communauté d’esprit qui les pousse souvent à s’intéresser à la civilisation américaine. Les deux formes d’art ayant trouvé un terreau naturel aux Etats Unis il n’y a là rien d’étonnant encore qu’il ne faille pas généraliser.

Pourtant il existe une différence fondamentale entre ces deux groupes de passionnés : le regard sur le passé et l’approche culturelle.

Le cinéphile est quelqu’un qui s’intéresse au cinéma dans son ensemble et qui possède une bonne connaissance de l’histoire de cette forme d’expression. Il apprécie les films muets comme les œuvres des cinéastes contemporains. Dans un ciné-club on programme à la fois les classiques des années 20 ou 30 et les incontournables du présent. Fréquenter une cinémathèque s’est côtoyer le cinéma dans toute sa diversité historique et nationale. Chez lui le cinéphile possède souvent des revues et des ouvrages spécialisés sur tel ou tel metteur en scène, ou telle ou telle école. Les dvd qu’il emprunte ou achète témoignent le plus souvent d’un éclectisme de bon aloi.

Rien de tel chez la très grande majorité des amateurs ou musiciens de jazz. Pour eux le jazz se cantonne à une période bien définie et limitée, en général à partir des années 60, ou pour les plus audacieux depuis les années quarante et le be bop. Tout ce qui précède, c’est-à-dire le jazz des années 20 aux années 40 est superbement occulté. C’est-à-dire que le jazz classique et ancien n’existe pas. Combien d’enregistrements de Louis Armstrong, Duke Ellington, Count Basie, Fats Waller ou Coleman Hawkins figurent dans leur discothèque ?

Le jazz n’est pas né brusquement dans les décennies suivant la seconde guerre mondiale, il est le produit d’une évolution constante entre les années 20 et aujourd’hui. D’autre part dans cette forme d’art comme dans toutes les autres la notion de progrès, l’idée qu’une œuvre d’aujourd’hui est forcément supérieure à une d’hier ou d’avant-hier relève de l’ignorance la plus crasse et d’un manque d’ouverture d’esprit accablant. Ionesco serait-il supérieur à Molière parce que plus contemporain, ou ce dernier aurait-t-il démodé Shakespeare parce qu’un peu plus d’un siècle les sépare ?

Ne pas être familier avec les enregistrements des grands jazzmen du passé c’est se condamner à ne pas comprendre pleinement ceux d’aujourd’hui.

On peut en dire autant de ces thuriféraires du jazz d’autrefois qui ne sont plus très nombreux aujourd’hui certes mais qui témoignent de la même intolérance, de la même étroitesse d’esprit et du même sectarisme que ceux pour qui rien n’existe avant le bop. On ne les verra jamais au jazz club car les musiciens programmés ne font pas pour la plus part du jazz selon leur conception étriquée de cette musique. Se priver du plaisir de la découverte, de la confrontation avec ce qui est autre, c’est rester à tout jamais un « crane d’œuf » c’est-à-dire chauve à l’intérieur du crane pour reprendre la jolie formule de Jacques Prévert.

 

JJS