Earl Hines (1903-1983)

vu par quelques-uns de ses confères

Si pour la très grande majorité des amateurs de jazz d’aujourd’hui  le nom d’Earl Hines n’évoque rien, il reste  pour ceux qui connaissent bien l’histoire de cette musique et les musiciens qui l’ont marqué  un monument incontournable. Sa longue collaboration avec Louis Armstrong à la fin des années 20  reste plus de 90 ans après un des moments les plus révolutionnaires de l’histoire du jazz. Sans oublier le soutien décisif qu’il apporta aux jeunes loups du bop (Parker, Gillespie) dans les années 4o en les accueillant dans son grand orchestre.

Voici quelques témoignages glanés parmi beaucoup d’autres de l’estime et de l’admiration dont il a été l’objet de la part de musiciens très divers :

«  Le piano est à la base de l’harmonie moderne. Earl Hines a changé le style du piano. Vous pouvez trouver chez lui les racines du style de Bud Powell, d’Herbie Hancock et tous les gars qui sont venus après.  S’il n’avait pas été là pour ouvrir la piste pour la génération suivante, on ne sait pas trop où et comment le piano serait joué aujourd’hui. Le style du piano moderne vient d’Earl Hines. »

Dizzy Gillespie

« Earl Hines est le seul d’entre nous capable de créer du vrai jazz et du swing authentique en jouant seul. Il a un style complétement unique. Personne ne peut obtenir ce son, aucun autre pianiste. »

Lennie Tristano

« Quand on parle de génie on parle d’Art Tatum et d’Earl Hines. »

Errol Garner

« L’apport d’Earl Hines dans le jazz a été d’une importance à peu près égale à celui d’Armstrong, de Fats Waller et d’Ellington et on a tendance à l’oublier à l’heure actuelle ».

Claude Bolling, Jazz Hot #4

Un souvenir personnel pour terminer. J’ai eu le privilège d’entendre Earl Hines à Lyon en solo et sans rythmique au début des années 60. Ce que dit Lennie Tristano est parfaitement exact. J’ai assisté ce soir-là à une expérience unique que je n’ai jamais revécu dans ma longue expérience d’amateur de jazz : un créateur de génie qui pendant deux heures parvint à lui tout seul à faire monter la tension, à créer, à surprendre à chaque instant !                    

                             Thelonious Monk au cinéma

 Voici un extrait du remarquable ouvrage de Robin D.G. Kelley Thelonious Monk : the life and times of an American original (Free Press,  New York 2009) qui malheureusement n’a pas encore été traduit en français (s’il doit l’être un jour !) Nous avons choisi le passage où la participation de Monk au festival de Newport est évoquée. :

« Grace au photographe de mode devenu cinéaste Bert Stern, un court extrait de la prestation déjà brève de Monk fut filmé dans le documentaire unanimement salué Jazz on a Summer’s  Day. (Jazz à Newport) Bien qu’il fallut attendre presque deux ans avant qu’il ne  sorte dans les salles, le film modifia non seulement profondément la manière dont les concerts étaient filmés, avec ses couleurs chatoyantes, ses plans montrant le public et les coulisses saisis sur le vif, son montage d’avant-garde, son rejet complet des commentaires et entretiens, mais aussi  il contribua à élever au rang d’icônes certains musiciens comme Anita O’Day, Mahalia Jackson et un certain Thelonious Sphere Monk. Monk apparait sur l’écran une trentaine de secondes interprétant Blue Monk d’une façon poignante, puis brusquement plan de coupe sur des voiliers naviguant dans la baie pour une régate de la Coupe América de 1958.Qui plus est la voix du commentateur surgit au milieu de l’exécution du morceau transformant temporairement le piano de Monk en accompagnement d’arrière-plan. Et pourtant, c’est précisément  le côté décalé de la séquence qui a renforcé pour le public international l’image de Monk comme personnage excentrique. Monk ne se doutait pas que le film rencontrerait un énorme  succès, mais il fut ravi d’apprendre que Stern avait l’intention de lui payer deux cent dollars pour son apparition à l’écran. »

Robin D.G. Kelley évoque aussi dans son livre ce qui aurait pu être un grand moment de l’histoire du jazz et du cinéma : la collaboration entre le metteur en scène Roger Vadim et Thelonious Monk. Marcel Romano qui était entre autre le directeur musical des films du cinéaste français voulait engager Monk pour faire la musique du film Les Liaisons dangereuses, après l’avoir entendu au Five Spot pendant l’été 1957. Romano venait de se distinguer en engageant Miles Davis pour la musique d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Le projet malheureusement n’aboutit pas et ce furent d’autres musiciens (par ailleurs excellents)qui furent engagés. (Art Blakey Jazz Messengers avec Barney Wilen comme invité)

Jean-Jacques Sadoux