Le triomphe et la tragédie de Louis Armstrong

Un des ouvrages les plus provocateurs, dérangeants et anti conformistes sur le jazz est sans aucun doute celui d’Eric Nisenson : Blue, The Murder of Jazz. Exprimant un pessimisme prononcé sur l’avenir du jazz et  ses inquiétudes sur la scène contemporaine après la mort de John Coltrane en 1967, il affirme que cette musique jusque-là constamment innovante est devenue rance et réactionnaire.

            Dans un chapitre entier consacré à Louis Armstrong, il souligne la dimension avant-gardiste de son art  et rappelle à tous ceux qui ont depuis longtemps oublié le rôle essentiel dans la musique du XXème siècle de ce créateur hors norme  dont le génie est trop souvent oublié.

« Armstrong était un authentique révolutionnaire; un génie qu’un orgueil démesuré poussait à changer la manière même dont nous concevons la création musicale. Ses innovations ont fait énormément pour changer le jazz à tout jamais; il a apporté à la musique un nouveau type de conscience que l’on ne peut que qualifier de moderne. Louis Armstrong comme James Joyce, Freud, Eliot et Einstein est un géant du XXème siècle, un de ces architectes de la culture  et de la conscience moderne. La façon dont il s’est affranchi du style de jazz classique de l’orchestre Nouvelle Orléans, est aussi audacieuse que les innovations de n’importe quel rebelle de ce siècle comme Picasso ou Stravinsky.

De bien des façons la révolution armstrongienne fut plus audacieuse que même celle de boppers vingt ans plus tard. Comme cela devait se produire tout au long de l’évolution du jazz, les innovations d’Armstrong et les raisons pour lesquelles certains s’y opposaient reposaient en partie sur des problèmes de société. Armstrong, est ce utile de le préciser, était un homme profondément marqué par le monde dans lequel il vivait et les espoirs et les rêves qu’il plaçait dans dans cette société.

(traduit par JJ Sadoux)

 

                              Des roses pour Satchmo

Les hommages qui suivent  proviennent de musiciens de jazz de tous styles, de toutes écoles et de toutes époques. La plupart furent publiés dans le numéro spécial de la revue Downbeat (9 juillet 1970) célébrant les 70 ans de Louis Armstrong :  Satchmo at 70 : a birthday salute to the King. (Nota bene : il s’agissait en fait de son 69ème anniversaire, on ne connaissait pas à l’époque son age véritable, il était né en réalité en Août 1901)

Stan Kenton : Il n’y a aucun doute à ce sujet, Louis Armstrong est le père du jazz moderne. Nous venons tous de lui. C’est le seul homme qui possède tous les ingrédients … Louis les avait tous : et vous savez quoi ? Il les a toujours.

Paul Desmond : Louis est un tel géant. Il n’y aura plus jamais quelqu’un de comparable. Les gens oublient tout ce qu’il a inventé … il a pratiquement inventé le jazz.

Roy Elridge : C’est tout simplement le plus grand !

Buck Clayton : C’est mon inspiration depuis que je l’ai entendu pour la première fois en 1932

Miles Davis : Vous savez , vous ne pouvez rien jouer sur une trompette que Louis n’est pas joué avant.

Charlie Parker :

 Duke Ellington.

To me, the great style and interpretation that Louis gave to us musically came from the heart, but his personality was developed by white people wanting black people to entertain by smiling and jumping around. After they do it they call you a Tom, but Louis fooled all of them and became an ambassador of good will.

Quincy Jones : Qu’est ce qu’on peut dire sur Louis ? – C’est notre père à tous. Son jeu et son chant ont influencé tout le monde. Lui et le Duke constituent le lien vital qui nous a donné l’âge d‘or de la musique… Tout ce qui swingue vient de Louis Armstrong.

Ornette Coleman : Louis Armstrong  est l’artiste le plus populaire dans la société blanche et sa contribution à la culture occidentale a très certainement amélioré  la position sociale du noir dans sa lutte pour l’obtention  des droits humains.

Zoot Sims : C’est mon musicien favori, tout style et toute époque confondus.

Al Cohn : Je pense que Louis Armstrong plus que n’importe qui d’autre  est la plus grande influence qui se soit exercée sur le jazz et ses musiciens.

Max Kaminsky : C’est le plus grand musicien qui ait jamais vécu… Dans de nombreuses années on finira par découvrir l’étendue de son génie.

Dizzy Gillespie : Louis ? Il est à l’origine de la trompette en jazz… C’est le père de tous les trompettistes de jazz… Qu’est-ce qu’on peut dire d’autre ? Il suffit d’évoquer son nom.

Gil Evans : Tout ce que j’ai appris, c’est d’Armstrong que je le tiens. Armstrong a été mon prof. C’est le musicien que j’ai le plus écouté.

Clark Terry : C’est notre père à tous, sans lui nous n’aurions rien à suivre.

Ray Brown : C’est le musicien de jazz le plus important.

Cootie Williams :  Louis Armstrong et Charlie Parker sont les deux plus grands musiciens de l’histoire du Jazz. Louis est le plus grand trompettiste que j’ai jamais entendu, que dire de plus !

 

Armstrong had only recently moved north to Chicago when he began recording, along with many of his black brethren who sought what they hoped to be a more tolerant atmosphere. I don’t think it is hard to hear in the Hot Fives and Sevens and his work of the early 30s Armstrong’s celebration of the new feeling of freedom he was experiencing after having moved north… In the north he felt he could express himself as an individual rather than as part of a group in which his singular personality was swallowed … So Armstrong’s stepping forward with the Hot Fives and Sevens and asserting his individuality with such artistry was in itself a powerful statement reflecting the changes in his life since leaving New Orleans… He is a firebrand, a man filled with creative energy, animated from within by the fires of his imagination… The bursting creativity and visionary imagination heard on Armstrong’s Hot Fives and Sevens is astonishing. In its way, it surpasses the creative heights of the two other great jazz geniuses who are often considered ultimate jazz geniuses: Charlie Parker in the 1940s and John Coltrane in the 1960s.

Eric Nisenson, Blue, the murder of Jazz, Da Capo Press, 1997